3. La recherche-création entre théorie et pratique

Recherche et création se nourrissent dans un mouvement d’interpénétration continu. Toute une réflexion émerge actuellement autour de la practice ou de la performance as research. Ces approches et la théorie sédimentée dans les œuvres renouvellent les liens entre recherche et création.

Modération : Yves Jubinville

Culture shock: navigating expectations in interdisciplinary research-creation projects

Sean Ferguson

One of the great advantages of interdisciplinary collaboration is the variety of perspectives that participants from different backgrounds and disciplines can bring to a project. This great strength can also cause challenges, however, when expectations don’t align. The motivations and reward structures of artists, scientists, engineers and other researchers can vary widely; this is only amplified when participants include both those from the professional milieu and those from the academic environment. Among other things, radically differing methodologies can create major roadblocks for advancing a project. It is therefore key that members of an interdisciplinary team attempt to understand the differing cultures of their collaborators. This is easier said than done, but efforts in this direction can yield positive results and can avoid potentially disastrous conflicts and misunderstandings.

Doctorat « Sciences Arts Création & Recherche » : expérimentation ou modélisation ?

Emmanuel Mahé

Le programme doctoral Sciences, Arts, Création, Recherche (SACRe) de Paris Sciences et Lettres (PSL) existe depuis 2012. Les doctorants sont majoritairement des plasticiens, metteurs en scène, réalisateurs, compositeurs de musique ou designers. Ce doctorat consiste à développer et à promouvoir une recherche par la pratique portant sur les différents arts, combinée avec des approches théoriques elles-mêmes appuyées sur la connaissance des conditions de cette pratique. Ce positionnement implique plusieurs types de rapprochements : avec les sciences fondamentales pour produire de nouvelles connaissances et de nouvelles pratiques de recherche ; avec les sciences expérimentales pour créer et tester des dispositifs communs ; avec les sciences humaines et sociales pour documenter ou confronter ces processus mêmes de coopération.

Observateur-participant à double-titre de la création de ce nouveau doctorat (comme codirecteur du programme doctoral et comme chercheur en sciences humaines et sociales), Emmanuel Mahé propose de présenter le programme doctoral et, surtout, de soumettre à la discussion les principales questions qu’une telle « expérimentation » soulève dans différents domaines (institutionnels, artistiques et scientifiques).

Paris Sciences et Lettres
Doctorat SACre

 

Les cycles heuristiques : une méthodologie de recherche-création

Louis-Claude Paquin

Pour les étudiants engagés dans la réalisation d’une thèse doctorale de création, deux étapes s’avèrent très souvent pénibles, voire anxiogènes : déterminer sa problématique et choisir une méthodologie de recherche-création. Il s’agit du moment clé de la conciliation entre l’aspect recherche et l’aspect création du projet. La pire stratégie consiste en des problématiques et des méthodologies différentes pour chacun des aspects ; « l’entretoisement » proposé comme idéal par Jean Lancri (2006) s’avère alors impossible à réaliser. Par ailleurs, les approches méthodologiques actuellement utilisées, telles que l’ethnographie, l’herméneutique ou l’heuristique sont empruntées à la recherche en sciences humaines et demandent une adaptation au contexte particulier de la recherche-création. La présente contribution propose une adaptation de l’heuristique, un des premiers modèles de la créativité, comptant quatre phases : la préparation, l’incubation, l’illumination et la vérification, proposé initialement par Graham Wallas (1926), formulé en méthodologie par Clark Moustakas (1990) et adapté par Peter Craig (1978). La démarche de recherche-création proposée procède par cycles heuristiques successifs, chacun d’eux, initié par une question ou un problème lié à la création, comporte une phase d’exploration et de production en atelier pouvant donner lieu à une présentation publique. S’enclenche ensuite une phase de compréhension où les découvertes effectuées sont cadrées par rapport à des discours conceptuels ainsi que des œuvres apparentées pertinentes. Le cycle se termine par l’écriture d’une synthèse qui articule les découvertes et leur compréhension au projet et, le cas échéant, par la formulation d’une question ou l’identification d’un problème qui fera l’objet d’un prochain cycle heuristique et ainsi de suite jusqu’à ce que les objectifs du projet soient atteints. La présentation sera illustrée par une thèse création en cours.

Craig, Peter Erik. (1978). The Heart of the teacher : a heuristic study of the inner world of teaching.    

Lancri, Jean. (2006). Comment la nuit travaille en étoile et pourquoi ? Dans  Pierre Gosselin et Éric Le Coguiec (dir.), La recherche création pour une compréhension de la recherche en pratique artistique, (p. 9-20). Québec: Presses de l’Université du Québec. En ligne.

Moustakas, Clark E. (1990). Heuristic research : design, methodology, and applications. Newbury Park: Sage Publications.

Wallas, Graham. (1926). The art of thought. New York: Harcourt, Brace and Company.

La « condition de recherche ». L’art programmé et le design critique : deux méthodologies paradoxales

Emanuele Quinz

En analysant le mouvement de l’Arte Programmata (1958-1968), le critique Carlo Giulio Argan en rassemble les stratégies sous le terme de « condition de recherche », qui indique « la capacité de l’art de poser et résoudre des problèmes » : l’art, au lieu de se fixer comme un système clos de valeurs, cherche un nouveau positionnement expérimental. Dans cette perspective, qui déplace l’attention du résultat au processus, l’art approche les sciences, pour y puiser à la fois des modèles méthodologiques et des horizons théoriques capables de fonder des nouvelles pratiques : l’œuvre n’est plus un objet fini, mais un dispositif qui permet de vérifier une hypothèse. Et le spectateur n’est plus un observateur distant, mais il devient « technicien » (Gianni Colombo), l’agent qui met en acte l’expérience – dans un processus qui se veut objectif et non subjectif.

Ce modèle, qui propose le paradoxe d’un art vérifiable, sera confronté à celui, un peu éloigné mais également paradoxal, du Critical Design anglais des années 2000, qui déplace l’axe du design de la fonction à la dysfonction. L’objectif est de questionner les potentiels de ces méthodologies, dans leurs diversités et dans leurs similarités inattendues — pour une définition de la création comme une expérimentation critique.

Dispositifs : recherche instrumentale et publications non-textuelles

Samuel Bianchini

La recherche en art nous incite à nous concentrer sur des problématiques relevant des moyens de représentation plutôt que des seules finalités artistiques. Cette recherche ne pourrait-elle pas, alors, être focalisée sur l’instrumentation, ou, pour employer un terme particulièrement important dans les arts contemporains, sur les dispositifs? La création serait ainsi autant un catalyseur pour cette recherche instrumentale qu’une forme d’oblitération de celle-ci. Départageant les rôles mutuels entre recherche et création, cette approche ouvre des perspectives pour la méthodologie et l’organisation de la recherche – en particulier dans le rapport du collectif à l’autorité artistique singulière – tout autant que pour les modes de valorisation et d’évaluation de cette recherche. Car, si la publication textuelle reste l’apanage de la recherche académique, pour une recherche instrumentale en prise avec la création contemporaine d’autres modalités peuvent être explorées et promues (« démo », « art testing », transfert, …), en particulier si l’on considère la publication dans son sens le plus fondamental : « rendre public ».